Violence Conjugale – 27ième partie

 Violence conjugale (suite)

 


La dimension ordalique de certaines prises de risque leur confère, de fait, comme un indice de légitimité supérieure. De même que l’importance des sacrifices consentis par obéissance à une religion démontre la puissance sacrée des dogmes, c’est ici l’importance de la prise de risque qui témoigne de la légitimité de la conduite et de la revendication implicite du sujet. L’ordalie d’Iseult est ainsi depuis le Moyen Age, l’illustration littéraire d’un choix amoureux socialement non conforme, voire transgressif ou scandaleux, mais légitime par une prise de risque allant jusqu’à l’épreuve du fer rouge. Sur le même modèle, l’audace adolescente du «  qui j’ose aimer » pose le principe d’une légitimité supérieure du désir, confortée par le caractère transgressif et dangereux du choix amoureux.

 

Ainsi se trouve souvent réalisé un schéma décrit par Stanton Peele : un adolescent mal préparé à affronter les dangers de l’existence, tombe amoureux et se marie très jeune : l’amour lui donne la force de se défaire de l’emprise familiale. Mais, souvent, il sort d’une prison pour entrer dans une autre, (Voir l’exemple de Michel et sa conjointe) choisissant une relation qui s’avère aussi aliénante que les liens familiaux. Au pire, c’est l’instauration de ce qui deviendra une co dépendance sacrificielle.

 

Le développement des discours sur les co dépendances est lié au développement des traitements de conversion, sur le modèle des groupes d’hommes. Ce point est important car les conjoints martyrs, les femmes battues et humiliées, doivent d’abord être considérées comme des victimes, et leur situation relève de la justice plus que de la psychologie.

 

Mais dans les cas de co dépendances avérées, cette phase ne suffit pas toujours à résoudre le problème. Dans ces groupes, ce sont les participants qui se vivent comme atteints d’un trouble parce qu’après avoir mis fin à une relation, et croyant être débarrassés du problème, ils se sont empressés de reproduire une liaison similaire; le choix névrotique d’objet, et la répétition, conduisent à une « addictivation » des relations de couple.

 

Parmi les caractéristiques de ces relations, on peut relever l’erreur qui consiste à croire que l’on peut  changer l’autre—l’illusion de  maîtrise de la relation rejoint la croyance de l’alcoolique qui pense être plus fort que la bouteille, du joueur qui mise de nouveau tout son argent, pour se « refaire ».

Cette volonté de maîtrise devient source de culpabilité puisqu’elle se heurte à la résistance des faits et à la persistance des problèmes. Sa dépendance à l’autre est aussi prise à son compte par celui qui souffre, comme si le co dépendant devenait responsable d’abord de la non-guérison, puis de l’ensemble du problème. Devant chaque ivresse, devant chaque épisode de violence, une femme maltraitée par un conjoint alcoolique commencera par  se demander ce qu’elle a fait de mal pour déclencher de telles réactions. L’erreur opposée consiste à se vivre comme une victime pure, à penser que tous les torts sont du côté de l’autre, et que la séparation sera une solution définitive : c’est ici que la reproduction de la conduite viendra obliger à reformuler la question.

 

Même dans les cas de co dépendance, pour s’en sortir, le sujet dépendant doit d’abord se reconnaître comme victime, et voir le bourreau pour ce qu’il est. Mais c’est aussi en acceptant le fait qu’il y est pour quelque chose que la situation pourra vraiment changer. Sans quoi les ruptures, qui finissent par survenir lorsque la situation devient trop insupportable ou dangereuse, risquent d’être suivies, parfois très rapidement d’une reproduction de la même situation. Avant même de rompre, certaines femmes s’assurent d’avoir trouvé un autre compagnon, qui leur donne la force de se séparer avant de se révéler aussi violent, aussi maltraitant que le précédent. La source du problème ne se trouve pas uniquement dans la conduite de l’autre. Elle réside aussi dans le choix d’un type de conjoint, choix qui va puiser ses racines dans l’histoire infantile du sujet, notamment dans sa propension à reproduire le lien à un parent violent. Sur ce point, la genèse du « trop aimer » rejoint les hypothèses traumatiques d’explication  des toxicomanies ou des addictions au sens large. Les co dépendances, comme la fidélité envers un conjoint violent, constituent des situations dramatiques. Elles comportent à la fois  des risques réels et une dimension sacrificielle; l’intrication des fonctions psychologiques, culturels, sociaux, et l’importance de la dimension morale du problème expliquent, en partie le caractère « spirituel » des traitements proposés.

 

Les femmes qui aiment trop se comportent souvent comme si elles étaient responsables des malheurs passés. La violence ou la mort des parents, les placements multiples dont elles ont pu faire l’objet, etc- et devaient, pour se racheter, vivre (ou revivre) une situation similaire. Certaines recherches inconsciemment des hommes correspondent à ce premier cas de figure. Tous deux recréent alors  un scénario de violence, où le bourreau tente  sans fin de se venger et la victime de se racheter.

 

*À suivre*

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