Violence Conjugale – 11ième partie

 Violence conjugale (suite)

                                    

L’HOMME VIOLENT VIT DU SENS SANS BON SENS

                                                

 

L’évocation de la souffrance tend à susciter la gêne, l’embarras, l’inconfort. Parler de la souffrance n’est pas sans pièges et, partant de ne pas savoir qui, de la personne qui parle ou de la personne à qui l’on parle, souffre vraiment, tant il est vrai que devant son expression, on est toujours appelé à répondre, à réagir, à choisir; soit le reconnaître, soit l’éviter, ce qui est encore une manière d’y répondre.

 

Kleinman et ses collègues (1997) définissent la souffrance sociale comme une indication historique et culturelle d’un aspect universel de l’expérience humaine dans laquelle les individus subissent et portent certains fardeaux, troubles et blessures liés au corps et à l’esprit. La souffrance sociale, proposent-ils, est issue des conséquences de toutes sortes—c’est-à-dire de tout un assemblage de problèmes humains qui résultent des effets du pouvoirpolitique, économique et institutionnel sur les gens—de même que des réponses humaines aux problèmes sociaux qui sont influencés par ces formes de pouvoirs ( Kleinman et al…1997).

 

On peut concevoir la souffrance comme une expérience sociale de deux manières : d’abord, dans la manière dont les modes collectifs de l’expérience façonnent, légitiment ou invalident les perceptions et les expressions de la souffrance, selon les époques et les cultures. Ensuite la souffrance est sociale dans la mesure où elle

est relationnelle et intersubjective, les interactions sociales et les relations à autrui étant au cœur de lexpérience de la souffrance de l’individu—aussi, son expression fait toujours appel à la compréhension des autres et cherche à  « mettre l’autre dans le coup ».

 

Ricoeur (1994) établit une distinction entre douleur, qui est d’ordre objectif et physique, logée dans un organe du corps, et souffrance, d’ordre subjectif, renvoyant à des « affects ouverts sur la réflexivité, le langage, le rapport à soi, à autrui, au sens ». Cette distinction paraît moins importante pour d’autres auteurs, dont Morris (1991, 1998) et Singleton (1994) pour qui la souffrance au sens de Ricoeur est toujours une douleur qui se loge aussi dans un corps pensant, sentant, parlant. Plus important, dans la pensée de Ricoeur, est qu’en l’absence de repères nosographiques, la question est de savoir comment éviter de se trouver devant une litanie interminable de maux. Il propose ainsi d’explorer la souffrance sur deux axes : celui du rapport Soi-autrui où l’on s’intéresse à la façon dont la souffrance vient altérer, à la fois le rapport à soi  et à autrui, c’est-à-dire le lien social, et celui de l’agir-pâtir indiquant une diminution  de la puissance d’agir et la mesure par laquelle les personnes, par ailleurs fortdifférentes, sont affectées par des situations qui échappent à leur contrôleet qui ont sur elles ou sur leur groupe de référence un effet négatif. Dans cette perspective, Ricoeur (1990 :368) introduira l’idée de la passivité comme venant attester, non pas tant d’un symptôme de « problème personnel », mais plutôt d’un principe d’altérité traduisant « la variété des expériences de passivité, entremêlées de façons multiples à l’agir humain ».

 

Zola (1992) pour sa part, parlera de la souffrance comme étant socialement construite en ce sens qu’au-delà de ses manifestations individuelles, elle est infligée par une société discriminante envers des gens ayant une différence quelconque, à l’endroit desquels elle taille une place vulnérable, fragile, quand ce n’est pas marginale. Ce n’est pas qu’il y ait négation des dimensions individuelles de la souffrance; mais Zola (1992) cherche à faire porter la réflexion sur la souffrance à partir du manque au niveau du lien social et de la vulnérabilité en termes d’inscriptions relationnelles et institutionnelles (Castel 1995) provenant d’un contexte extrêmement contraignant.

 

La notion de souffrance sociale permet, en fait, de laisser émerger le contenu socio culturel qui s’incorpore dans la souffrance individuelle, éclairant ainsi les manières dont une société peut venir invalider des gens porteurs d’une différence et dont l’altérité est marquée sur, dans et par le corps. En plus, elle s’avère réfractaire à la catégorisation de causes relevant de champs distincts—moral, politique, médical ou autres. De ce fait, la notion de souffrance sociale permet une déstabilisation des catégories. Un extrait de récit cité ici révèle l’imbrication des divers registres sur lesquels se situe le désarroi de la souffrance.

 

*À suivre*

Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

LITTÉRATURE HAÏTIENNE - 4e partie

LITTÉRATURE HAÏTIENNE - 18e partie

LITTÉRATURE HAÏTIENNE - 8e partie