LE CAHIER PHILOSOPHIQUE - 55ième partie

 PASOLINI (SUITE)


La séparation des langages constitue le thème obsédant de la pièce Orgia qui met en scène un couple, une femme et un homme - deux modalités de la séparation existentielle et tragique, deux drames de l’Altérité.

 

Dans un étonnant prologue l’homme, juste avant de se pendre, déclare:

 

“Finalement, il y en a eu un qui a fait un bon usage de la mort” que nous apprend-t-il, tout au long de la pièce, sur ce bon usage?

 

(1) Herchitze sait la fin de Julian, le père l’ignore. Le premier incarne le technocrate pur, entièrement voué à la puissance technique; le second, issu d’une vieille famille bourgeoise a reçu une éducation “humaniste”.  Le père n’aurait plus rien à perdre à faire chanter le nazi Hirt-Herdhitze. En le tenant ignorant de la fin du fils, Pasolini nous suggère le triomphe de la technique-thanatocratique sur l’humanisme bourgeois, pure illusion, alibi d’une culture porcine.

 

Il consiste à détourner l’usage des objets de la civilisation bourgeoise- capitaliste, en les déconnectant de leur idéologie - ideologia della morte - de la sphère du Pouvoir de laquelle ils participent.  Ces objets comme les bas, les culottes, les jartelles, les jupons, le sac à main d’une pauvre prostituée de périphérie, sont des signes de résignation quotidienne, de l’acceptation du pouvoir. Ils en constituent le langage et l’habitude. Ils garantissent à leurs utilisateurs une place dans le monde du pouvoir, place servile et hypocrite.  Par leur caducité, leur signalitique misérable, ils assurent l’omni-présence du pouvoir, en sont l’étendard, lidéologie, l’habitude - un abitudine alla morte - qui rend esclave.  Avant de se pendre, l’homme s’empare des objets de la prostituée dont il soumet le corps (ainsi que le sien) à une dure épreuve physique - ce qui le fera vomir et s’évanouir, et se maquille, se travestit.  Après avoir parlé le langage de la chair, il s’enquiert de faire parler un autre langage aux objets qui lui ont nié la conscience de sa diversité.

 

Il ne s’agit donc pas de dissuader l’usage mais bien de le rétablir et de le fixer.  Ces objets ordinaires, et en tant que tels constituant l’ordinaire du Pouvoir, lorsqu’ils seront vus sur le corps, tacheront l’innocence (servile celle-là) du regard de ce groupe de personnes déléguées par la société pour le décrocher, ils maculeront, expressivement et scandaleusement, le Pouvoir à travers leur habitude explosée.  Cette pendaison se veut exemplaire de l’horreur de la Diversité lorsqu’elle est crucifiée, lynchée, assassinée; le supplice, en même temps, est mise en scène de l’horreur et juge de l’Histoire:

 

“Je vous en prie, soyez comme ces soldats

les plus jeunes de ces soldats

qui sont entrés les premiers derrière les barbelés d’un camp....

Et là leurs yeux....Ah, je vous en prie

Restez jeunes comme eux!  Voilà tout

Et, maintenant, divertissez-vous”.

 

La diversité acquiert la dimension de conscience de l’Altérité, de l’Autre et de l’Autre en moi, elle s’exprime par un langage différent et son combat confine à une séparation des langages de la réalité qui, lorsqu’ils restent agglomérés, compactés, sont totalitaires et forment le méta-langage du Pouvoir: Paix et Conformité - le Même.

 

C’est contre cette paix que se révolte la femme:

“En cette “paix” qui est tombée sur ma vie

et où elle s’est fixée, comme une saison

qui ne change jamais, une interminable matinée

de paix

de travail

de choses nues et sévères

(partagées avec les voisins, au son de la télévision)”.

 

Son rapport aux objets est physique et se nourrit de leur consommation comme fétiches de sexe et de travail, qui devient consumation-transgression par un désir, une puissante volonté d’épuiser tout ce qu’ils contiennent de souillure et de banalité.  Une consumation “senza rimorsi” qui est communication de la chair et des sens avec la jeunesse, l’”honnêteté brutalité” d’un jeune adolescent:

 

“Viens, fils avec la prétention d’un père,

ou père encore fils, viens

accomplis ton acte simple”.

 

sans remord donc transgresser les règles univoques de la sexualité, la rendre ambivalente, lui restituer son caractère dissociatif- associatif et son ambivalence essentielle qu’accostent l’inceste et le désir de mort.  Dans la pièce Bestia da Stile, la soeur de Jan déclare:

 

“La dissociation est la structure des structures”

 

et un des “personnages”, l’Ante litteram, énonce:

 

“La vérité est ambigue, non mixte”

Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

LITTÉRATURE HAÏTIENNE - 4e partie

LITTÉRATURE HAÏTIENNE - 18e partie

LITTÉRATURE HAÏTIENNE - 8e partie