LE CAHIER PHILOSOPHIQUE - 38ième partie
LA PERSONNALITÉ
En invoquant ici un mécanisme de refoulement, Maslow
renversait spectaculairement la perspective Freudienne. Dans la théorie
psychanalytique, le refoulement est défini comme un mécanisme de censure s’exerçant
contre le désir sexuel. Il est dirigé contre la libido. Il sert à endiguer les
pulsions du ça qui bouillonnent dans les couches inférieures de la personnalité.
Maslow, lui, mettait le doigt sur un refoulement d’une autre nature, un
refoulement plus ignoré, plus silencieux, mais non moins pernicieux. Le
refoulement qui frappe nos désirs les plus élevés, le refoulement qui réprime
nos élans vers la vie supérieure.
Et Maslow poursuivait : il ne tient qu’à nous
de briser ce refoulement, de défaire ce blocage, d’émanciper notre pulsion de
réalisation. Tel est précisément le sens d’une « démarche de développement
personnel ». Elle consiste en un travail sur soi visant à libérer le désir
de réalisation personnelle. Elle lève les interdits qui le frappent. Elle brise
les blocages qui l’entravent, afin de
nous permettre de devenir, à notre tour, des auto-actualisants. Tandis que pour
Freud, la cure psychanalytique ne libère la capacité de sublimation que chez un
petit nombre d’individus, le développement personnel libère les possibilités de
réalisation personnelle chez tous les individus. Telles sont les
différences qui opposent le concept de
réalisation de soi et celui de la sublimation. On voit que ces différences sont
loin d’être mineures. Elles touchent à l’essentiel. Elles creusent un véritable
fossé entre le courant du développement
personnel et le courant psychanalytique. Les pères fondateurs du développement
personnel l’ont parfaitement compris et ils en ont tiré les conséquences. Ils
ont proclamé très vite leur indépendance par rapport au mouvement freudien, en
se revendiquant d’une troisième force (a third force), à mi-chemin entre le
behaviorisme comportementaliste hérité de Watson et la psychanalyse. Ils ont
appelé cette troisième force la « psychologie humaniste » (humanistic
psychology). La psychologie humaniste est donc, avec le mouvement du potentiel
humain et avec le « développement personnel » une autre manière (encore
une …) de désigner la réalisation de soi. La rupture avec la psychanalyse fut
si radicale que, aujourd’hui encore, il n’y a guère de possibilité de dialogue
entre les deux parties. Essayez de réunir autour d’une table, à la tribune d’un
colloque, sur un plateau de télévision ou dans un séminaire de recherche, des
psychanalystes et des spécialistes du développement personnel. Les
psychanalystes considèrent leurs interlocuteurs avec un mélange de
condescendance, d’ironie, d’effarement. Ils voient en eux des « para-psychologues »
sans rigueur scientifique. De leur côté, les partisans du développement personnel applaudissent des
deux mains quand paraît un brulôt tel que le livre noir de la psychanalyse.
*À suivre*
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