LE CAHIER PHILOSOPHIQUE - 37ième partie

LA PERSONNALITÉ


Une deuxième différence oppose le développement personnel et la psychanalyse. Freud pensait qu’une partie seulement des êtres humains pouvait sublimer. À ses yeux, la sublimation était une capacité, une prédisposition possédée par un petit nombre d’individus, et il s’est même demandé si cette prédisposition n’était pas l’expression d’une particularité organique. Cette conception élitiste de la sublimation avait une conséquence importante quant à la manière dont Freud envisageait l’objectif de la cure psychanalytique. La cure psychanalytique a pour fonction de délivrer le patient de sa névrose. Elle lui permet de résoudre ses problèmes affectifs. Mais, précisait Freud, cet objectif de guérison n’a pas le même sens selon que le patient possède une capacité de sublimation ou qu’il en est dépourvu.

Dans le premier cas, la cure libèrera les possibilités de sublimation du patient. Au terme de sa cure, celui-ci pourra donner libre cours à son activité créatrice,  jusque-là freinée par la névrose. Sa créativité se déploiera dans toute son ampleur. Dans le second cas, la cure aboutira à un résultat différent : la guérison de la névrose permettra au sujet d’accéder à une vie plus authentique, plus vraie, le sujet gagnera en lucidité sur lui-même, il retrouvera la paix intérieure, la joie de vivre, mais sa vie ne sera pas forcément plus créative : car la créativité, insistait Freud, est réservée aux sujets prédisposés à la sublimation. Freud indiquait très clairement ces deux issues de la cure psychanalytique : « Quiconque est capable de sublimation, écrit-il, s’y appliquera dès lors qu’il sera débarrassé de sa névrose. Ceux qui n’en sont pas capables deviendront eu moins plus naturels et plus vrais ».

Mais il y a plus. Freud pensait que la minorité qui avait une prédisposition à la sublimation était surtout … masculine. Le père de la psychanalyse était persuadé que « les femmes sont peu aptes à la sublimation ». Le concept de sublimation était donc à ses yeux, un concept discriminateur. Il traçait une ligne de démarcation non seulement entre les créateurs et les non-créateurs, mais aussi entre les hommes et les femmes. Il séparait les individus aptes à la sublimation, c’est-à-dire au dépassement de soi, et ceux qui, par une sorte d’infériorité congénitale, devaient se contenter de mener une vie ordinaire. La sublimation creusait un fossé entre une humanité supérieure, capable de créer des œuvres, de changer le monde, d’éclairer le genre humain, et une humanité ordinaire, moyenne, commune.

Il en va tout autrement de la philosophie du développement personnel. Pour Maslow, la capacité de réalisation de soi est présente en chacun. Elle est inscrite dans la nature de l’être humain comme la raison chez Descartes, elle est « la chose du monde ». Tout le monde peut mener une vie créative. Tout le monde a un désir de progrès, une propension au dépassement, une aspiration au plus être. Le postulat universaliste, qui est au cœur de la théorie de Maslow, est resté l’un des traits distinctifs du mouvement de développement personnel.

Cependant, admettait Maslow, le désir de réalisation de soi ne s’exprime pas avec la même intensité chez tous les individus. Nous ne lui prêtons pas toujours l’attention qu’il faudrait. Nous n’écoutons pas toujours la voix intérieure qui appelle à la réalisation de soi. Maslow constatait, nous l’avons rappelé au début que les auto-actualisants ne représentent qu’un petit nombre d’individus. Comment concilier ce fait avec le postulat d’universalisme? Maslow ne rejoignit-il pas Freud, qui réservait la capacité de sublimation à une minorité.

En aucune façon, écoutons l’explication fournie par le psychologue américain. Elle fait ressortir de façon éclatante une différence majeure entre le développement personnel et la psychanalyse. Pour Maslow, si les individus ne se comportent pas en auto-actualisants, ce n’est pas parce qu’ils sont dépourvus du désir ou de la capacité de réalisation de soi. Ce désir apporte à l’essence même de l’être humain, seulement, tout le monde n’a pas conscience de ce désir logé au fond de soi. Tout le monde a la possibilité de se réaliser. Mais tout le monde n’a pas conscience claire de cette aspiration profonde. Par résignation, par paresse, par manque d’estime de soi, par inhibition ou en raison de quelque blocage mental, beaucoup d’individus végètent dans une vie médiocre alors que, s’ils écoutaient la voix qui s’élève des profondeurs de leur être, il leur serait facile de mener une vie intense, riche, créative. Leur pulsion d’accomplissement est comme étouffée, réprimée. Leur désir de réalisation de soi subit une espèce d’autocensure, comme si une sourde crainte l’empêchait d’affleurer à la surface. Leur désir de réalisation est refoulé.

*À suivre*

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