LE CAHIER PHILOSOPHIQUE - 36ième partie

 LA PERSONNALITÉ


Dans les œuvres produites par la sublimation, la psychanalyse nous invite donc à voir en filigrane, le fond érotique sur lequel elles reposent.

Ainsi, à travers l’œuvre de Léonard de Vinci, Freud décelait un besoin de voyeurisme. Dans la frénésie des conquêtes militaires de Napoléon, il décelait un désir  œdipien. Le goût de la puissance chez un dirigeant politique révèlera un complexe infantile non résolu, un désir inconscient de tuer le père. Le scientifique passionné par la recherche est quelqu’un qui a converti en « épistémophilie » (l’amour de la connaissance) ses penchants voyeuristes ou agressifs. Le collectionneur de peinture, de bibelots, d’antiquité, de livres, d’objets divers, reste inconsciemment fixé au stade anal, c’est-à-dire le stade de la première enfance, caractérisé par l’obsession de l’accumulation et de la rétention.

Quoique l’individu fasse d’élevé, de noble, d’héroïque, quelque effort qu’il fournisse pour se dépasser, la psychanalyse remontera à un déterminisme sexuel. Dans toutes les activités par lesquelles le sujet se réalise, elle mettra au jour une traçabilité sexuelle.

D’où cette conséquence : l’individu qui crée une œuvre, qui fonde une entreprise, qui exerce le pouvoir, qui réalise une promesse sportive, qui s’adonne à un art, qui se consacre à une cause, à un idéal, est réputé agir dans une sorte de naïveté psychologique. À travers son activité sublimatoire, il se ment à lui-même. Il vit dans l’inauthenticité car il se dissimule, et dissimule aux autres, sa part inavouable.

Nous ne sommes pas loin, dans ces conditions, du refoulement. Certes, il y aurait lieu, en toute rigueur, de distinguer entre deux sortes de refoulement : celui qui plonge l’individu dans un état névrotique et celui grâce auquel l’individu au contraire peut se consacrer à une activité constructive. Le premier conduit à la pathologie, il entraîne vers le bas. Le second constitue un échappement vers le haut.

Quoiqu’il en soit de cette distinction, dès lors que je « sublime »je, « refoule » dans la mesure où je n’ai pas une conscience claire de mes motivations. Je suis en défaut de lucidité. J’oppose une sorte de dénégation au fait que, en dernière instance, c’est ma sexualité qui s’exprime à travers mes œuvres. De façon révélatrice, Anna Freud, la fille de Sigmund Freud, l’une des figures les plus marquantes du mouvement psychanalytique rangeait la sublimation parmi les « mécanismes de défense ».

On voit donc ici surgir une première différence entre la psychanalyse et le développement personnel. Rien n’est plus opposé à l’esprit du développement personnel, tel en particulier que le concevait Maslow, que l’interprétation des activités supérieures par la libido.

Pour le psychologue américain, le désir de réalisation de soi n’était en aucune manière déterminé par la sexualité. Il ne s’expliquait pas par la libido. Maslow soulignait son caractère irréductible, c’est-à-dire non sexuellement traçable, non sublimatoire. À ses yeux, il s’agissait d’un désir spécifique, d’une motivation sui generis. Ce faisant, Maslow adoptait une position dont il faut saluer la hardiesse. Car dans les années 1960, la psychanalyse tenait le haut du pavé dans les milieux intellectuels. Il fallait un certain courage pour prendre ses distances avec le psychanalytiquement correct.

C’est très précisément cette opposition à la psychanalyse que Maslow exprimait à travers sa fameuse pyramide des besoins. Ce schéma donne, certes, une image un peu rudimentaire du psychisme humain, mais il n’en avait pas moins aux yeux de son concepteur une fonction heuristique très importante. Il était destiné à souligner l’étanchéité, si l’on peut s’exprimer ainsi, entre l’étage supérieur du psychisme et son étage inférieur. Il préservait l’autonomie de la couche supérieure, de la personnalité, c’est-à-dire le lieu où naît le désir de réalisation de soi, par rapport aux besoins de base. Il soulignait le fait que nos désirs les plus élevés, nos métamotivations, nos besoins de développement personnel sont indépendants des strates affectives inférieures, et en particulier  des strates sexuelles.


* À suivre *

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