LE CAHIER PHILOSOPHIQUE - 10ième partie
Personnalité
Aux yeux des
culturalistes, l’homme universel, l’homme en général n’existe pas. Ce ne sont là, soutiennent-ils, que des
abstractions dénuées de tout fondement scientifique. Seuls existent des femmes et des hommes géographiquement
déterminés, dans des aires culturelles particulières. Chaque société secrète un modèle
psychologique, un pattern psychique, que les culturalistes
appellent « la personnalité de base », qui constitue en quelque
sorte le moule collectif où, par réplication, se forment les
personnalités individuelles. Sans doute
les individus connaissent-ils des destins différents; ils mènent des vies
propres; leurs caractères ne sont pas identiques. Mais, insistent les culturalistes, ces
différences individuelles sont négligeables au regard de la similitude qui
résulte du modelage des individus par la personnalité de base.
Retenons pour mémoire, que la théorie culturaliste fut élaborée aux États-Unis entre les années 1930 et 1950 par des chercheurs en sociologie et en ethnologie, dont les plus connus étaient Ruth Benedict, Abraham Kardiner, Robert Linton et Margareth Mead. Précisons tout de suite que cette théorie a été bâtie à partir de l’observation des sociétés traditionnelles, qu’on appelait alors les sociétés « primitives », c’est-à-dire des sociétés où l’emprise du collectif sur l’individu est très forte. Dans ces sociétés traditionnelles, l’individu comme tel n’existe pas. Le groupe est quasi hégémonique. La théorie culturaliste repose sur une idée simple : la personnalité d’un individu est entièrement déterminée par la culture dans laquelle vit cet individu, le mot « culture » n’ayant pas ici le sens restreint de « culture littéraire, artistique et philosophique » mais un sens large qui regroupe les normes sociales, les valeurs, l’organisation familiale, les institutions économiques et politiques, le langage, les mœurs, la religion, les mythes.
Dans l’optique culturaliste, la personnalité humaine
n’est en aucune manière le fruit d’une construction personnelle. Elle est conditionnée par le milieu, elle est
formatée par la culture et par conséquent, elle est identique chez tous les
membres d’un même groupe social. « Le Moi résumait Abraham Kardiner, est
un précipité culturel. » La vie
affective, les rapports avec les autres, la vie intérieure, la façon de gérer
ses émotions, la sexualité, les fantasmes, la perception du monde, les
croyances, les désirs, bref tout ce qui constitue le moi réputé
« intime » est en fait le résultat de l’influence exercée par la
société.
Quand un individu pense, s’émeut, imagine, agit, rêve, crée, c’est la société qui pense, s’émeut, imagine, agit, rêve, crée à travers lui. « Quand notre conscience parle, écrivait déjà Durkheim en 1896, c’est la société qui parle en nous ». Il n’est pas jusqu’à l’inconscient qui ne soit conditionné par la culture. L’inconscient, insistent les culturalistes, ne fonctionnement pas de la même manière dans une tribu archaïque du Pacifique, dans la Russie Tsariste du XIXe siècle, dans l’Italie méridionale ou dans l’Amérique des années 1950. Les grands mécanismes psychanalytiques tels que le refoulement, le complexe d’Oedipe, la culpabilité, le surmoi changent dès qu’on passe d’une aire culturelle à une autre. À l’inverse de Freud qui postulait que ces mécanismes fonctionnent partout de la même manière, et qu’il y a par conséquent un universalisme psychique, les culturalistes plaident pour une « sociologie psychanalytique différentielle ».
Les théoriciens du traditionalisme politique ont élaboré une conception de la personnalité humaine qui rejoint celles des culturalistes. Leurs principaux représentants en France ont été Joseph de Maistre, Auguste Comte, Paul Bourget, Hippolyte Taine, Maurice Barrès et Charles Maurras. Leur point commun? Ils reprochaient à la révolution Française d’avoir, par une rupture violente et au mépris de la tradition, ouvert la voie à un individualisme déchainé qui, selon eux, était responsable de la décadence de la société.
L’idée fondamentale du traditionalisme politique est que l’individu ne peut véritablement s’épanouir s’il se comporte en individualiste, c’est-à-dire, s’il se croit libre de toute attache vis-à-vis de sa famille, de sa lignée, de sa province, de son pays, de sa religion, de sa tradition. Il ne peut y avoir de bonheur et d’accomplissement de Soi dans l’individualisme, lequel n’est qu’un simulacre de liberté, et c’est pourquoi, prétendent les traditionnalistes, la société issue de 1789 fait fausse route.
* à suivre*
Commentaires
Publier un commentaire