PHILOSOPHIE - La Mort - 23ième partie
L'Immortalité
Pour M. Blondel, dans la pensée, Paris 1934 page 245 il
indique : “Réfléchissons à ce qu’implique cette conscience de la mort et cette
sorte de vénération pour cela même qui semblerait détruire toutes les craintes,
toutes les déférences, tous les égards.
Si nous n’avions pas un sens métaphysique pour placer, derrière tous les
phénomènes qui se succèdent et disparaissent, une réalité permanente, nous ne
saurions concevoir ni une survie, ni même (assertion plus paradoxale mais aussi
certaine) une mort au sens que nous donnons à ce mot. L’idée de la mort n’est possible, n’est
réelle que par la certitude que nous avons de l’immortalité....par cela seul
qu’il se connaît et que pour se connaître il a besoin d’affirmer la vérité des
principes intemporels et de Dieu même, l’homme semble devoir échapper par sa
nature raisonnable à la loi biologique de la déchéance de la mort.”
Platon, dans le Phédon (107-108) a exposé la preuve
morale de l’immortalité de l’âme, fondée sur les exigences de la justice, mais
c’est plutôt une preuve de l’immortalité personnelle qu’il veut démontrer à cet
argument. L’immortalité étant établie
par une autre voie.
D’autre part, Kant a montré que si la condition
suprême du souverain bien est la vertu, c’est à dire “la conformité complète
des intentions à la loi morale”, une telle perfection ne peut être obtenue dans
l’existence terrestre. Aussi devons-nous
admettre (ou postuler) pour l’homme la possibilité d’un perfectionnement sans
fin le rapprochant de plus en plus de l’idéal de sainteté. Or ce progrès indéfini n’est lui-même
possible que si nous supposons que l’être raisonnable subsiste, à titre
personnel, dans l’infinité d’une durée que Dieu seul peut embrasser.
Cet argument de Kant paraît assez difficile à accorder
avec la conception Kantienne de la bonne volonté, qui est ou n’est pas (car
elle consiste en un indivisible et par conséquent ne peut admettre de “progrès
indéfini”. De plus, l’hypothèse d’un
progrès indéfini par-delà la vie terrestre est arbitraire. Enfin, ce qu’il y a de valable dans
l’argument semble relever plutôt de la preuve psychologique, en soulignant cet
idéal de perfection morale qui est en nous le signe et l’effet d’une grandeur
qui transcende l’espace et le temps.
L’immortalité naturelle est une propriété en vertu de
laquelle un être ne peut pas mourir.
Telle est l’immortalité de l’âme humaine. On l’appelle naturelle, en tant qu’elle
dérive de la nature même de l’âme l’immortalité naturelle implique trois
conditions, à savoir, que l’âme continue d’exister, après la dissolution du
composé humain - que, dans cette survie, l’âme conserve son individualité et reste
par conséquent consciente d’elle-même et de son identité, que la survie soit
illimitée.
a)
l’immortalité panthéistique, cette
doctrine professe que l’âme humaine (ou la pensée ou l’esprit) constitue avec
Dieu une seule et même substance, dont elle serait une émanation ou une
manifestation passagère. Après la mort,
l’âme irait se réunir au tout, où elle ne possèderait plus ni individualité ni
conscience d’elle-même. C’est par abus
qu’une telle doctrine parle encore d’immortalité de l’âme, car l’immortalité
exclut absolument l’anéantissement de la personnalité. Elle exige, pour être véritable, une survie
individuelle et substantielle, telle que nous conservions notre pouvoir de
connaître et d’aimer, la conscience de nous même et de notre identité personnelle.
b)
spiritisme et métempsychose. Le spiritisme s’est présenté comme une
science des relations avec les esprits, désincarnés, qu’on pourrait censément
réaliser par l’intermédiaire d’individus nommés médium. Il s’ensuivrait que l’immortalité de l’âme se
trouverait démontrée expérimentalement.
Mais tout cela est fantaisiste.
Des faits allégués par les spirites ou les métapsychistes, aucun n’a
jamais pu être établi d’une manière sérieuse.
Quant à la théorie de la métempsychose, qui suppose
que l’âme humaine se réincarne successivement en des corps humains multiples, elle
est purement gratuite et de plus inintelligible en elle-même. En effet, dans cette hypothèse, l’âme devrait
être conçue comme recevant des individuations multiples, et par le fait même comme
devenant chaque fois une âme numériquement différente des précédentes.
Pour d’aucuns, l’âme humaine ne peut périr ni
directement, puisqu’elle est une substance simple, donc incapable de se
décomposer, ni indirectement, puisqu’elle n’a pas intrinsèquement besoin du
corps et de ses organes pour exercer ses fonctions propres de connaissance et
de volonté. L’âme est donc, par sa
nature même, incorruptible et immortelle.
Bergson, après avoir montré que “la pensée est en
grande partie indépendante du cerveau” (Énergie spirituelle, p. 45-46) et que
“tout se passe comme si le corps était simplement utilisé par l’esprit” conclut
que “dès lors nous n’avons aucune raison de supposer que le corps et l’esprit
soient inséparablement liés l’un à l’autre”.
(ibid, p.61 CF. Mémoire et matière, p. 150, 195). On n’établit ainsi, ajoute Bergson, que la
vraisemblance de la survie de l’âme, et c’est à d’autres disciplines (à savoir,
sans doute, à la religion) qu’il appartient de dire si le temps de la survie de
l’âme est limité ou non. Mais ce
résultat, s’il est peut-être modeste, est en tout cas, en tant qu’expérimental,
plus précieux que les arguments de la métaphysique traditionnelle”, “tirés de
l’essence hypothétique du corps et de l’âme”, qui sont généralement choses
fragiles. (Énergie spirituelle, p.62).
Il y a là, croyons-nous, une grave équivoque. D’abord, l’argument bergsonien pour la survie
de l’âme est, non pas expérimental, mais proprement métaphysique, puisqu’il
consiste à déduire (très justement d’ailleurs) l’immortalité de l’âme de sa
spiritualité, celle-ci étant très exactement définie, par la métaphysique
traditionnelle ou non aussi bien que par Bergson, comme l’indépendance
intrinsèque par rapport au corps. D’autre
part, lorsque Bergson déclare ensuite que les arguments métaphysiques sont
généralement fragiles, non seulement il néglige le fait que ces arguments
s’appuient aussi bien que le sien sur l’expérience psychologique, mais il fait
tort à sa propre argumentation, qui propose à très juste titre une conclusion
dépassant l’expérience immédiate. En
effet, en frappant d’une suspicion de principe toute argumentation rationnelle,
il s’expose à s’entendre contester même la modeste affirmation de survie où il
prétend se tenir.
L’argument psychologique peut aussi s’appuyer
directement sur l’aspiration à l’immortalité.
Cette aspiration est si spontanée, si irrésistible, si universelle (même
quand elle reste implicite), qu’il serait difficile de n’y découvrir qu’un élan
affectif implicite) qu’il serait difficile de n’y découvrir qu’un élan affectif
sans valeur ontologique. Il semble
plutôt qu’elle traduise pour ainsi dire le sens que la vie a d’elle-même et
qu’à ce titre elle ait une infaillibilité qui, par son origine et sa nature,
surpasse les certitudes que fournit la science la plus rigoureuse.
Par contre, on a objecté que l’aspiration à
l’immortalité ne serait rien de plus que la forme du désir que l’espèce éprouve
en chaque homme, de se perpétuer. Mais
cette objection paraît contradictoire en elle-même : car si c’est l’espèce qui
aspire à se perpétuer (elle y aspire vraiment), ce souhait et ce besoin sont
comblés par la procréation. L’individu
comme tel, n’aurait aucune raison de désirer et de réclamer une perpétuité qui
est propre à l’espèce. Même l’aspiration
à l’immortalité serait, dans ce cas, absolument, inintelligible (et de ce fait,
elle ne saurait exister chez l’animal).
Mais justement, si l’homme, comme personne individuelle, aspire à une
immortalité qui lui conserve son identité et sa conscience personnelles, c’est
la preuve la plus claire qu’il ne se ramène pas à un simple individu porteur de
l’espèce, qu’il a un destin personnel qui déborde l’espèce tout entière. D’ailleurs, comment n’y pourrait-on concevoir
que la “nature” produise des personnes (des êtres raisonnables, conscients et
libres) et leur inspire le désir profond, de se perpétuer comme personnes,
uniquement pour les anéantir? (car substituer l’immortalité spécifique à
l’immortalité individuelle revient à supprimer l’immortalité).
Mais la prétention même de réserver l’immortalité à
l’espèce est bien significative, car elle implique à l’évidence le sentiment
qu’il est absurde, quand il s’agit de l’homme, de considérer la mort comme
phénomène absolument dernier, sans aucune signification quelconque. La mort est donc une sorte de scandale, si
profond, même, qu’il est impossible de la penser, comme un terme, c’est à dire
de l’introduire dans la série des événements de ma vie, comme l’achèvement de
ceux-ci. Il y a donc vraiment une exigence
d’immortalité, dont le scandale, de la mort n’est que l’aspect négatif, et
aussi (puisque l’immortalité spécifique, si elle devait combler nos
aspirations, excluerait tout scandale et tout effroi de la mort des individus)
une exigence d’immortalité personnelle, qui n’a de sens que si elle manifeste
une structure ontologique de la réalité humaine.
Plus loin, voilà comment Doris Lussier voit la mort.
Érudit, écrivain, humoriste québécois, homme
engagé socialement, Doris Lussier s'est surtout
fait connaître au Québec par son personnage
comique du « Père Gédéon » à la télévision.
Derrière son large sourire, se cachait un homme
de conviction, un esprit profond et en recherche.
Je n'ai qu'une toute petite foi naturelle,
fragile, vacillante, bougonneuse et toujours
inquiète.
Une foi qui ressemble bien plus à une espérance
qu'à une certitude.
Mais voyez-vous, à la courte lumière de ma faible
raison,
il m'apparaît irrationnel, absurde, injuste et
contradictoire
que la vie humaine ne soit qu'un insignifiant
passage
de quelques centaines de jours sur cette terre
ingrate et somptueuse.
Il me semble impensable que la vie, une fois
commencée,
se termine bêtement par une triste dissolution dans
la matière,
et que l'âme, comme une splendeur éphémère,
sombre dans le néant
après avoir inutilement été le lieu spirituel et
sensible de si prodigieuses clartés, de si riches
espérances et de si douces affections.
Il me paraît répugner à la raison de l'homme
autant qu'à la providence de Dieu que l'existence
ne soit que temporelle et qu'un être humain n'ait
pas plus de valeur et d'autre destin qu'un caillou.
J'ai déjà vécu beaucoup plus que la moitié de ma
vie; je sais que je suis sur l'autre versant des cimes
et que j'ai plus de passé que d'avenir.
Alors j'ai sagement apprivoisé l'idée de ma mort.
Je l'ai domestiquée et j'en ai fait ma compagne si
quotidienne
qu'elle ne m'effraie plus…ou presque.
Au contraire, elle va jusqu'à m'inspirer des
pensées de joie.
On dirait que la mort m'apprend à vivre.
Si bien que j'en suis venu à penser que la vraie
mort, ce n'est pas mourir,
c'est perdre sa raison de vivre.
Et bientôt, quand ce sera mon tour de monter
derrière les étoiles, et de passer de l'autre côté du
mystère, je saurai alors quelle était ma raison de
vivre.
Pas avant.
Mourir, c'est savoir, enfin.
Sans l'espérance, non seulement la mort n'a plus
de sens,
mais la vie non plus n'en a pas.
Ce que je trouve beau dans le destin humain,
malgré son apparente cruauté, c'est que, pour
moi, mourir, ce n'est pas finir, c'est continuer
autrement.
Un être humain qui s'éteint, ce n'est pas un mortel
qui finit,
c'est un immortel qui commence.
La tombe est un berceau.
Mourir au monde, c'est naître à l'éternité.
Car la mort n'est que la porte noire qui s'ouvre
sur la lumière.
La mort ne peut pas tuer ce qui ne meurt pas. Or
notre âme est immortelle.
Il n'y a qu'une chose qui peut justifier la mort….
C'est l'immortalité.
Mourir, au fond, c'est peut-être aussi beau que de
naître.
Est-ce que le soleil couchant n'est pas aussi beau
que le soleil levant ?
Un bateau qui arrive à bon port, n'est-ce pas un
événement heureux ?
Et si naître n'est qu'une façon douloureuse
d'accéder au bonheur de la vie,
pourquoi mourir ne serait-il pas qu'une façon
douloureuse de devenir heureux ?
La plus jolie chose que j'ai lue sur la mort, c'est
Victor Hugo qui l'a écrite.
C'est un admirable chant d'espérance en même
temps qu'un poème d'immortalité.
« Je dis que le tombeau qui sur la mort se ferme
ouvre le firmament,
Et que ce qu'ici bas nous prenons pour le terme
est
le commencement. »
FIN
Commentaires
Publier un commentaire