PHILOSOPHIE - La Mort - 21ième partie


La Pensée Spinoziste Sur La Mort (Interprétation Spiritualiste)

Pour Spinoza : « L’homme libre ne pense à aucune chose moins qu’à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort, mais de la vie.»

J’ai beau avoir en ce moment la mort comme préoccupation principale, je ne vois, chez les penseurs de l’ « être-pour-la-mort » ou de la « pensée de la mort en tant que constitutive de toute pensée », qu’une rhétorique remplie de sophismes et de phrases creuses. L’’être humain n’est pas un « être-pour-la-mort » ou un « être-vers-la-fin ». C’est au contraire un être-pour-la-vie : vie animale, vie affective, vie sociale, vie amoureuse, vie mentale, vie créatrice, vie symbolique.

Quant à la pensée de la mort, elle n’est pas « constitutive » de toute pensée : même si l’humain se sait mortel, c’est plutôt la vie qui est constitutive de ses pensées (la mort faisant elle aussi partie, accessoirement, de notre conscience de ce que toute vie animale est ou implique).

Certes, la réflexion au sujet de la mort importe à notre existence, dans la mesure où l’on ne saurait penser intégralement la vie sans faire clairement référence à sa finitude naturelle. Mais comme la naissance, la mort n’est après tout qu’une étape normale du processus vivant, d’ailleurs en tout point identique chez Homo à ce qu’elle est par exemple, chez les autres mammifères.

Quant à la finitude humaine envisagée de manière générale, elle revêt mille visages ou dimensions.  Nos aptitudes sont limitées, notre intelligence est bornée, nos aspirations dépassent nos capacités, nos défauts sont innombrables, nos œuvres sont imparfaites, nos corps sont fragiles, nos connaissances incomplètes, nos relations humaines boiteuses et, bien entendu, notre temps est compté : si par magie on pouvait faire disparaître cette dernière clause, serions-nous moins marqués par la finitude? Un peu moins, dira-t-on sans doute. Il reste clair que nous ne deviendrions pas « infinis » pour autant.
 Et si on nous accordait toutes les perfections, sauf l’éternité, nous serions beaucoup moins englués dans le monde, beaucoup moins « finis » malgré la mort » Bref, la mort ne paraît pas la forme unique ni fondamentale de notre finitude, même si elle en est un aspect psychologiquement important.

L’homme est-il un « être-pour-la-mort »? C’est le mot « pour » qui importe ici. L’homme est certainement un être de finitude; mais d’une part on ne saurait identifier « mort » et finitude » et d’autre part, il est douteux que la prise en compte de notre finitude puisse suffire à justifier la thèse voulant que l’être humain soit essentiellement un « être-pour-la-mort ». Comment l’homme serait-il un « être pour la finitude »? Cela n’aurait guère  de sens. Quoiqu’il en soit, la certitude d’être mortel ne devrait donc jamais devenir un obstacle à notre bonheur. Penser à la mort, on le fera uniquement afin de mieux vivre, pour ajouter de la valeur à la vie, pour mieux travailler à son accomplissement.
On dit parfois, devant la mort de nos semblables,  « c’est la condition humaine ». Erreur. C’est la condition animale et donc humaine.

Je suis un animal terrestre, curieux, sociable, affairé et craintif, dont la boîte crânienne regorge de signes et de pensées mystérieusement codés dans les réseaux de cellules électriques de mon cerveau. J’appartiens à une espèce vivante, l’espèce Homo sapiens sapiens, comme disent les spécialistes de ces matières. Nous serions plus de sept milliards de ces primates parlants sur la planète, chiffre qui, à dire vrai, me paraît simplement inimaginable. Pour me convaincre tant bien que mal de sa signification concrète, j’essaie de ne jamais perdre de vue que cela se traduit à chaque minute par environ cent morts (approximativement 1,66 par seconde) et 260 naissances (4,33 par seconde! Il m’est arrivé d’imaginer ainsi un gigantesque écran, du genre »cinéma IMAX », sur lequel scintilleraient sept milliards de petites lumières clignotantes, avec une zone d’entrée en haut à gauche et une de sortie en bas à droite, où l’on pourrait voir à chaque seconde respectivement apparaître 4,33 nouvelles étincelles de vie humaine naissante et disparaître les 1,66 qui s’éteignent.

Je ne sais si beaucoup de nos cerveaux seraient capables d’endurer longtemps un tel spectacle. Je parierais plutôt que mes semblables et moi, nous ne survivons moralement qu’en oubliant de tels chiffres, vertigineux et inhumains à nos yeux, dont une trop nette prise de conscience banaliserait tellement notre sentiment habituel d’importance que cela ne nous serait guère supportable, sans parler des risques possibles quant à la promotion du respect éthique envers toute vie humaine… (Staline : « trois morts, c’est une tragédie;  Cent mille morts, c’est une statistique. »

Quoi qu’il en soit, on peut donc dire que sur le plan de la connaissance abstraite la loterie de la vie et de la mort nous est désormais connue avec une assez grande précision objective, mais que nous n’avons pas été convenablement équipés (par l’évolution naturelle ou le plan divin, peu importe ici) pour y faire face de façon intuitive sans avoir à en payer un prix ne nous paraissant pas trop élevé.
Selon moi, il n’est pas invraisemblable que cette infinité constitutionnelle ait quelque rapport avec la prolifération, à la fois «  séduisante et inquiétante, de croyances ou de fantasmes qui forment l’une des principales caractéristiques de la culture humaine. Certes, tout indique qu’une part de notre pensée est heureusement vouée, de par les nécessités pratiques de l’existence, à la recherche d’une représentation adéquate de nous-mêmes, des autres, ainsi que du monde naturel qui nous engendre, nous permet de survivre et qui, tôt ou tard, finira vraisemblablement par nous écraser. Mais cette part n’épuise pas, loin s’en faut, tout le contenu de ce que nous appelons nos esprits.

En effet, Homo est un être de désir et de symboles, de rêveries et d’imagination, de délire et d’espérance, de passion et de crédulité, autant sinon davantage que de connaissance, de réalisme et d’objectivité. Il est en outre, en particulier durant son enfance, malléable à presque toutes les suggestions distillées par son milieu culturel, familial et social. C’est ainsi que , non content d’apprendre tant bien que mal ce qu’il peut par le biais des sens, de la perception, des expériences et de la pratique - aidées de l’observation active, du raisonnement, de l’expérimentation contrôlée et systématique, sans parler d’hypothèses ou de théories passées et présentes - chacun de nous risque fort de voir son esprit peuplé également de mythologies et de fables, de dogmes et d’actes de foi qui sont, le plus souvent, ceux de la tribu à laquelle il se trouve appartenir. Les sociétés animistes produisent des esprits animistes, la plus grande majorité des enfants du monde musulman inclinent irrésistiblement à l’Islam, ceux d’un certain orient acceptent « naturellement » le tao ou le Ying yang, et ainsi de suite.

La diversité de ces contradictions, aussi invérifiables que nourricières, est extrême en apparence, et les contradictions de l’une à l’autre sont légion. Cela n’empêche pourtant pas d’y relever des constantes relatives : une certaine forme d’au-delà de la mort, un ordre  « surnaturel explicatif et intelligible jusque dans son insondable mystère, une place et une mission pour l’humain dans quelque drame cosmique ou surnaturel, une source transcendante de sens et de valeur, une origine et une fin ultime suffisamment «  compréhensible », le sentiment de faire l’objet d’une certaine sollicitude de la part d’une ou plusieurs entités englobantes et puissantes, ainsi que des règles de vie appuyées sur une tradition ou une autorité supérieures (et donc relativement sécurisantes).

Quelle que soit la  validité de telles pensées, on peut se convaincre sans peine qu’homo en a  la plupart du temps bien besoin : sans elles, il faut avouer que sa vie est faite en large partie de solitude et de souffrance, d’inquiétude devant les aléas de son destin et la fragilité de ses soutiens, de doutes quant à l’absurdité possible de son séjour terrestre ou la vanité de sa carrière personnelle en ce bas monde et, pour couronner le tout, de la catastrophique conscience d’une mort imprévisible tant pour soi-même, que pour nos êtres chers, avec la peur de la disparition qui en découle. En ce sens, je dois reconnaître que les prêtres de mon enfance n’avaient pas entièrement tort d’attribuer à l’orgueil et à la méchanceté un rôle générateur dans toute prise de position athée. L’incroyance aurait beau être aussi fondée que l’on voudra en raison et en vérité, il n’en resterait pas moins assez vraisemblable psychologiquement de soupçonner quelque chose de sadique et de cruel dans sa divulgation polémique, dont je me suis moi-même rendu maintes fois responsable.

Cela dit, n’oublions pas que, réciproquement, le même genre d’hypothèse généalogique et soupçonneuse, postulant une semblable imputation de vice moral, n’épargnerait pas davantage mages et gourous, clercs et maîtres spirituels, qui ont eux aussi apporté tant de fois la preuve de leurs désirs de puissance, de domination, d’exploitation ou même de destruction. S’il y a bel et bien quelque chose  d’agressif et d’auto satisfait chez l’irréligieux militant, ne risquerait-on pas de dénicher au moins autant de noirceur psychique dans l’attitude crédule, dominatrice, sécurisante et dogmatique de bien des croyants? Dans une telle éventualité, ce n’est donc pas en se situant sur le plan d’une analyse des motivations psychologiques secrètes des uns ni des autres qu’on pourrait jamais espérer trancher valablement en ces matières, à supposer que cela soit possible.

Pour ma part, sur le fond, les choses m’ont depuis longtemps paru claires. Toute interprétation spiritualiste et surnaturelle de la vie suppose un renversement extrêmement curieux, paradoxal et improbable, puisqu’elle nous contraint à penser que ce qui en vérité existerait le moins (les apparences physiques) serait pourtant ce qui s’impose le plus indubitablement à  nous, mais que, à l’inverse, la réalité suréminente et absolue (par exemple, une déité transcendante) serait curieusement ce qui se manifeste le moins… En effet, sur la base de notre expérience subjective de sa présence de son insistance, de ses intrusions, nous avons de très puissantes raisons de croire qu’il existe autour de nous (et en nous) un monde matériel ou naturel, fini, corruptible ou changeant, imparfait- et passablement indifférent à nos désirs et attentes.

Au contraire, ce qu’impliquerait diversement la plupart des grands discours religieux, c’est que l’univers de notre  expérience ne serait en dernière analyse qu’une illusion ou un dérivé ontologiquement inconsistant, auquel nous limiteraient notre ignorance, nos désirs ou quelque autre intrinsèque imperfection attachée à notre condition. Divers maîtres spirituels, prophètes, illuminés ou sages auraient heureusement pu appréhender qu’à sa source, ou derrière son avers, il se trouverait quelque mystérieuse présence spirituelle, unité primordiale échappant  au langage commun et cependant donatrice ou créatrice de la multiplicité des apparences sensibles, simple tissu dégradé d’erreurs et de misères. Vide, absente ou cachée pour la coutumière conscience formée, cette sphère surnaturelle n’en serait pas moins remplie  de potentialités infinies, principe surabondant de tout être, grâce aimante et pure lumière se diffusant par une sublime émanation ou procession, énergie ineffable à l’œuvre en toute chose, bien qu’en soi si parfaite et infinie qu’elle en deviendrait inconnaissable et inaccessible pour notre faible raison, finie et impuissante. Car le genre humain serait ordinairement dominé par l’aveuglement et la propension au mal, même s’il subsistait également en lui, plus ou moins endormie, une certaine part divine, apaisée et pure, âme emprisonnée de la prison de la chair, fragment détaché de l’Esprit Suprême et du logos créateur, apte chez certains élus à appréhender que le divin soit incompréhensible et à saisir qu’il soit invisible, insondable abîme de silence en même temps que source jaillissante de vie.

*À suivre*

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