PHILOSOPHIE - La Mort - 14ième partie


Le Deuil :

Le port du deuil en Haïti rurale, répond certainement par sa règlementation précise à l’explication qu’en donne J. Caseneuve :

« Les pratiques de deuil (dit-il) sont commandées directement par l’impureté de la mort qui, du défunt, s’étend par la contagion, à toutes ses appartenances; ses parents, ses proches sont souillés par la contagion, au même titre que sa demeure et ses objets personnels. Il faut donc les tenir à l’écart de la société; les marquer d’un signe distinctif, aussi longtemps du moins qu’ils n’ont pas été purifiés… »

L’enquête de Métraux nous apprend que l’habitat de deuil dans l’arrière Haïti ne doit pas être lavé mais seulement brossé. N’est-ce pas une protection de l’impureté rituelle et une matérialisation de la contagion numineuse? L’isolement devrait s’ensuivre. Mais la plupart de ces significations sont un peu brouillées, en Haïti même si les conduites qui en étaient les supports subsistent. Van Gennep notait pourtant que ces pratiques de deuil constituaient  « un retour à l’état naturel » une façon d’avouer qu’on était exclu de la condition humaine normale et presque réduite à la condition animale. En Haïti, porter le deuil passe plutôt comme une démarche d’exorcisme : c’est en portant le deuil qu’on se débarrasse de l’âme du défunt! Il est considéré aussi comme une manière d’apaiser le mort et de neutraliser son hostilité. Ce n’est pas, en tout cas, une affaire de sentiment!

Pourtant une observation ravive la signification fondamentale d’impureté rituelle. On assiste à la disparition du deuil lors de la cérémonie de « lévé-dey » qui correspond à des secondes funérailles symboliques, autrement dit, à la cessation de l’impureté puisque le mort est sublimé, à ce moment-là, le deuil connote donc l’impureté à éviter et dont il faut se débarrasser au plus vite. D’autres conduites révèlent plus clairement cet aspect de la mort.

a)  La purification de tous les participants aux funérailles dans une macération de feuilles d’oranger ou de médicinier.

b)      L’exorcisme, par l’aspersion abondante d’eau, de tous les chemins ou allées traversant une cour familiale où le convoi funèbre s’est engagé.

Mais plus que l’impureté à esquiver, c’est surtout contre le côté inquiétant de la mort que le vaudouiste entend se prémunir.

C’est tout d’abord toutes les jarres et tous les canaris de la maison que l’on s’empresse de vider quand survient un décès. L’eau qui s’y trouve pourrait, paraît-il, attirer le défunt, dont l’âme s’installerait à demeure. Il faut éviter cela.

À la toilette mortuaire, les deux gros orteils du mort sont liés ensemble. Cette précaution rendra son retour impossible. On évite bien entendu de le chausser « le pourrait-on d’ailleurs », afin que le bruit de ses pas ne dérange pas les vivants.

On pousse le « lwa »pour apaiser l’esprit du défunt. Car si on ne manifestait pas du chagrin on pourrait craindre son hostilité. Mais ce devoir n’incombe qu’à la famille.

« Ceux contre lesquels le mort nourrissait un profond ressentiment évitent d’assister aux funérailles, car ce dernier pourrait entrer en courroux »
La coutume d’enterrer le mort avec les instruments de son métier s’est conservée à certaines régions…

Une fois la dépouille exposée dans le cercueil, les pieds vers la porte (c’est capital!) on fait enjamber le cadavre par les enfants. C’est un rite de protection souverain. Le défunt devra renoncer à hanter sa progéniture.

Le mort doit quitter sa maison avant l’aube, sans quoi un membre de sa famille ne tarderait pas à le suivre. Au moment de franchir le seuil de la maison mortuaire, ceux qui portent le cercueil, comme frappés d’hésitation, avancent et reculent trois fois…le même spectacle s’observent dans certaines régions de Madagascar où dominent les noirs. À l’unisson de Métraux, en effet, un ancien administrateur en chef de la F.O.M. Membre de l’académie Malgache et de l’académie des sciences d’outre-mer, Raymond Decary, note « les singulières péripéties dans la marche du convoi funèbre ».

"En cours de route, les porteurs du corps s'arrêtent brusquement où les écarts les plus fantaisistes reculent, quittent le sentier, se mettent à courir ou à danser, avançant ou reculant de la façon la plus imprévue...le tout au mlieu de lamentations.  Les motifs qui provoquent un tel comportement sont très mal connus".


* À suivre*

Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

LITTÉRATURE HAÏTIENNE - 4e partie

LITTÉRATURE HAÏTIENNE - 18e partie

LITTÉRATURE HAÏTIENNE - 8e partie