Au Compte-goutte - Mieux Comprendre Les Politiques Sociales, D'Hier à Aujourd'hui, 40ème Partie
On
conçoit aisément l’ampleur du décloisonnement, ainsi que l’extension qu’il peut
donner aux mécanismes de sécurité du revenu, tout en les articulant mieux sur
les exigences du marché du travail ainsi que sur la disponibilité au travail.
S’il n’y a vraiment plus de travail disponible sur le marché, on créera au
besoin des activités socialement utiles de façon à exploiter le potentiel
inutilisé de revenu… selon la forme déjà citée de C.E.C. des personnes qui
pour une raison ou une autre… âge, infirmité, etc. … ne peuvent absolument pas
se trouver un emploi productif sur le marché du travail.
On
peut prévoir un décloisonnement analogue entre les mécanismes de la sécurité
sociale et la fiscalité. Nous avons déjà souligné la dimension fiscale de la
sécurité sociale, par suite encore de son détour par la redistribution du
revenu national. Or, avec l’avènement de la sécurité du revenu, les programmes
de sécurité sociale pourront s’afficher ouvertement comme des mesures fiscales.
On utilisera pour ce faire le concept d’impôt négatif : l’impôt (positif)
sur le revenu des particuliers prélève une somme d’argent en
fonction du niveau du revenu ainsi qu’en fonction des charges socialement
reconnues du contribuable exemptions ou déductions d’impôt pour personnes
à charge. On appellera donc analogiquement impôt négatif l’action
inverse par laquelle l’État distribuera des sommes d’argent aux contribuables,
précisément encore en fonction de leur niveau de revenu et de leurs charges
sociales.
Bien
sûr, seule l’expression « impôt négatif » est nouvelle. La
distribution des sommes d’argent par l’État était déjà chose ancienne. Mais le
changement ne se limitera pas à un simple changement de vocabulaire. Le
changement de vocabulaire crée d’abord l’illusion de la nouveauté, ce
qui n’est déjà pas négligeable. La plupart des mesures existantes seront en
effet rebaptisées selon la nouvelle terminologie, créant l’illusion que le
système de sécurité sociale a été profondément transformé, alors que seule sa
façade aura été ravalée, exception faite de quelques modifications mineures ou
encore de l’introduction de nouveaux programmes, somme toute mineurs par
rapport à l’ensemble.
Mais
en plus de cet effet largement illusoire à court terme, le changement de
vocabulaire, parce qu’il manifeste un changement de la logique de référence,
aura des effets plus profonds, à long
terme, sur l’organisation du système. Une fois éliminée la barrière logique
entre la fiscalité d’une part et la sécurité sociale d’autre part, pourquoi maintiendrait-on
la barrière au plan concret, au plan institutionnel? Pourquoi la perception
continuerait-elle d’être effectuée par un ministère tandis que d’autres
ministères assumeraient la tâche de la distribution ? Pourquoi ne pas
simplifier les choses administrativement, en reconnaissant de fait la
nature fiscale des paiements de transfert? Pourquoi le contribuable ne
serait-il pas responsable d’établir lui-même les sommes que l’État lui doit, de
la même façon et en même temps qu’il établit les sommes qu’il doit à l’État,
c’est-à- dire dans sa déclaration d’impôt? De la sorte, il serait possible de
confier à un seul ministère tant la perception que la distribution des sommes
d’argent : on éliminerait sans doute une structure bureaucratique (celle
présentement responsable de la distribution), d’où épargne pour l’État, en même
temps qu’on créerait les conditions administratives d’un contrôle plus strict
sur le contribuable, tant du côté de ce qu’il doit à l’État que du côté de ce
que l’État lui doit. 209
Comme
on le constate, il s’agit plus que d’un simple changement de terminologie ou
encore de technique, même si la substance de ce qu’était déjà l’idéologie de la
sécurité sociale n’est guère modifiée. L’idéologie de la sécurité du revenu, en
mettant en évidence la dimension « revenu » de la sécurité sociale,
conduit inévitablement à renforcer la dimension économique de celle-ci,
au détriment de la dimension sociale, c’est-à-dire humanitaire. Cette dernière
dimension ne cessera certes pas d’exister : mais ce seront les services
sociaux qui auront la mission de s’en acquitter. Pendant ce temps, la voie sera
ouverte à l’affirmation de la fonction prioritairement économique de
tout un pan de la sécurité sociale, à savoir les mécanismes dits de sécurité de
revenu. Qui pis est, toute l’attention sera centrée sur ceux-ci, et c’est à
ceux-ci qu’on attribuera le rôle principal dans la recherche ou l’amélioration
du « bien-être social ».
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