Au Compte-goutte - Mieux Comprendre Les Politiques Sociales, D'Hier à Aujourd'hui, 36ème Partie


Une idéologie centrée sur le travail

Donc, pour reprendre les termes utilisés par un des principaux acteurs de la réforme en cours, à partir de l’intervention du conseil économique du Canada en 1968, dans l’esprit d’un grand nombre de gens, la pauvreté n’était plus un problème moral mais également, au plein sens du terme,  un problème économique.198 Mais contrairement à ce qu’on pourrait penser à prime abord, ainsi qu’on ne manque pas de nous le suggérer, la pauvreté ne devenait pas ainsi « un problème économique » uniquement à cause des « coûts économiques » et « sociaux élevés » qu’elle comporte pour l’ensemble de la collectivité.199  

Certes, on ne saurait nier que cette dimension « coûts » a pesé dans la balance. C’est par exemple l’un des deux grands motifs invoqués par le Conseil économique du Canada pour déclarer   cette guerre totale à la pauvreté. 200 Mais parmi ces « coûts », le Conseil économique n’oublie pas de mentionner « l’insuffisance de productivité et les pertes de production ». Et notre section précédente nous a justement permis de découvrir que c’est précisément ce en quoi, fondamentalement, le problème de la pauvreté est désormais devenu un problème essentiellement économique : il a cessé d’être un problème moral, il est devenu un problème de productivité et de production. Or, nous avons déjà mis en évidence qu’en contexte capitaliste, c’est le domaine de la production qui constitue le domaine par excellence de l’économie. 201 Dans cette perspective, il s’ensuit que toute solution aux problèmes de bien-être qui n’intègrerait pas cette exigence de productivité, ne pourra être qu’un palliatif rendu nécessaire par l’absence de solutions plus profondes, Ces solutions plus profondes ne peuvent être que celles qui rendent productives ces dépenses, celles qui, en définitive, réussiront à transformer en programmes d’emploi les traditionnels programmes de sécurité sociale.    

Nous ne pouvons analyser en détail comment on réussit à nous faire avaler pareil renversement des choses. Déjà, nous savons que la seule référence au « revenu », dans l’expression « sécurité du revenu », facilite grandement les choses puisque nous associons spontanément le « revenu au travail », à la « rémunération du travail », le mot « travail » étant lui-même compris comme une « activité productive ». 202 Mais cela ne suffit évidemment pas. Il faudra donc qu’on nous présente de façon beaucoup plus subtile la nouvelle façon de concevoir la pauvreté, et qu’on nous amène progressivement et insensiblement à conclure qu’effectivement, la seule et véritable solution de la pauvreté réside dans le travail. D’où l’urgence de mettre au travail tous ceux qui ne travaillent pas, ou qui ne travaillent pas assez.

D’un texte à l’autre, le raisonnement pourra donc varier quelque peu, de même d’ailleurs que le degré de sophistication. Il est toutefois certaines constantes qu’on retrouve systématiquement. Ainsi, même si on prend soin de préciser que la pauvreté n’est pas tout à fait la même chose que le faible revenu, 203 tout le raisonnement n’en sera pas moins centré sur le « revenu », son « insuffisance », le « risque » de « perte du revenu » etc.  

« Pour la plupart des familles, y compris les familles à faible revenu, les salaires ou traitements et le revenu d’emplois autonomes sont la principale source de revenu. »
D’une telle constatation de fait globale, on en déduira immédiatement un principe de politique en matière de sécurité du revenu :
« Ainsi, tout facteur ayant pour effet de réduire la valeur marchande du travail, ou d’empêcher les travailleurs d’offrir leurs services, peut réduire le revenu en deça du seuil de la pauvreté. »
Conclusion, une véritable politique de sécurité du revenu doit s’attaquer à ces facteurs :

« Les principaux de ces facteurs sont le manque de spécialisation des travailleurs (souvent rattaché à un degré trop faible de scolarité), la vieillesse, l’invalidité, un mauvais état de santé, et l’emploi dans des secteurs peu rémunérateurs. La nécessité de prendre soin de jeunes enfants peut également empêcher certaines personnes d’offrir leurs services. »204 


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