Au Compte-goutte - Mieux Comprendre Les Politiques Sociales, D'Hier à Aujourd'hui, 35ème Partie


Ces questions méritent d’autant plus d’être posées que l’avènement de l’idéologie de la sécurité de revenu, à l’instar de l’avènement de l’idéologie de la sécurité sociale, survient dans un contexte de profond ralentissement de l’activité économique sinon de crise caractérisée. En pareil contexte, la rationalité économique exige non seulement qu’on rentabilise aux maximum les dépenses ou investissements, mais aussi qu’on réduise au maximum les coups de la production. Toute dépense qui n’est pas immédiatement productive est donc appelée à être éliminée. Or, nous avons pu constater que la grande majorité des dépenses dites « sociales » ne sont pas productives ou tout au moins pas immédiatement productives. Il n’est pas productif de faire vivre quelqu’un à ne rien faire. 196 Il n’est pas immédiatement productif d’assurer la subsistance d’une femme qui ne fait que s’occuper de l’éducation de ses enfants; la dépense ainsi consentie ne deviendra en effet productive qu’au moment où ces enfants atteindront l’âge de travailler…

Nous voyons donc que ce souci de la plus grande rentabilité conduit inévitablement à rogner au maximum sur les « coûts sociaux », à moins qu’on ne réussisse à faire de ces coûts des investissements, c’est-à dire des dépenses productives. Et pour ce faire il n’existe pas d’autre moyens que de mettre au travail, c’est-à-dire de rendre productifs, dans toute la mesure du possible, tous les bénéficiaires éventuels de prestations sociales. Or nous rejoignons ici la caractéristique fondamentale de l’idéologie de la sécurité du revenu : Celle-ci n’est en fait que la couverture idéologique d’une vaste stratégie d’emploi orientée principalement vers les bénéficiaires de prestations sociales en général et plus spécifiquement, vers les travailleurs marginaux ou irréguliers, vers les chômeurs, vers les femmes, vers les personnes âgées…  Toutes ces personnes représentent des coûts pour la société; celle-ci cherchera désormais à en faire des travailleurs actifs, de simples travailleurs potentiels qu’ils étaient.

Du même coup, nous percevons mieux un des principaux effets idéologiques de l’avènement de la sécurité du revenu. Dans un contexte où tous, tant les capitalistes que les travailleurs, ont toutes les raisons imaginables pour broyer du noir, dans un contexte où par exemple on parle de croissance zéro alors qu’il y quelques années à peine les économistes ne nous parlaient que de croissance « auto-entretenue » et de « développement », 197 dans un contexte où tout particulièrement les travailleurs pauvres on raison d’être pessimistes, l’idéologie de la sécurité du revenu vient jeter un baume d’optimisme. Mais sous le couvert de cette illusion optimiste, la rationalité économique qui l’inspire en sera d’autant plus efficace.

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