Au Compte-goutte - Mieux Comprendre Les Politiques Sociales, D'Hier à Aujourd'hui, 32ème Partie


Nous constatons donc que les idéologies keynésiennes, de la sécurité sociale et par voie de conséquence, sont à bien des égards proches parentes. Il n’en demeure pas moins que leur degré respectif de sophistication au plan technique, si lourd de conséquence au niveau de la manipulation idéologique des citoyens, constitue en élément majeur de différenciation. Mais ce n’est pas là le seul, ni peut-être même le principal facteur de différenciation.

En effet, il importe de souligner que l’une de ces idéologies, le Crédit social, a été élaborée par des éléments petits bourgeois de la société, c’est-à-dire par des personnes qui dans le contexte de la grande crise se sentaient particulièrement vulnérables, tandis que l’idéologie de la sécurité sociale fut élaborée par des éléments appartenant à la haute bourgeoisie anglaise Lord Keynes, Lord Beveridge, avec l’appui d’ailleurs de l’appareil étatique lui-même. Par-delà le degré respectif de sophistication technique de l’une et l’autre idéologie, cette donnée est très certainement largement responsable de la réussite de l’une et du discrédit qui s’abattit sur l’autre. Mais ceci explique aussi que ni l’une ni l’autre n’était vraiment révolutionnaire.

 En effet, en contexte de crise, les petits capitalistes sont en instance de prolétarisation, puisque ce sont leurs entreprises qui sont les plus faibles et par conséquent les plus vulnérables. Ils sont donc portés à se révolter contre ce système capitaliste si inhumain, puisqu’il s’apprête à faire d’eux-mêmes des prolétaires. Par suite de leur indignation, ils pourront formuler des critiques assez radicales à l’égard du système. Et ceci sera de nature à les rapprocher des prolétaires, puisque eux aussi seront révoltés contre le système, quoi que pour des motifs tout à fait différents. C’est ce qui explique que le crédit social, dès ses origines, ait pris une connotation nettement populiste et ait réussi à entrainer dans son sillage bon nombre de prolétaires anglais. Mais en fait, ces petits-bourgeois sont aussi viscéralement anti socialistes. En effet, le socialisme repose sur le principe de l’égalité de tous les hommes. Or, les petits- bourgeois ne peuvent accepter ce principe sans accepter définitivement leur déchéance, c’est-à-dire sans accepter d’être les égaux entre autres des prolétaires. Ils se révoltent parce que le système capitaliste est en voie de leur enlever leurs privilèges de petits bourgeois, et non parce que ce système est en opposition fondamentale avec la pleine et entière égalité de tous les hommes.190

Ceci nous permet donc de comprendre que l’idéologie du crédit social, comme l’idéologie de la sécurité sociale et celle de la sécurité du revenu, souhaite améliorer le fonctionnement du système capitaliste, notamment en réalisant le plein emploi de toutes les ressources productives disponibles, tant humaines que technologiques, mais sans jamais rien toucher de fondamental dans ce système. Comme on peut le lire dans le Rapport Croll à propos de la sécurité du revenu, on donne la priorité à une solution du problème de la pauvreté sous son aspect économique les gagne-petit en assurant à tous les citoyens un revenu minimum suffisant. Cette méthode n’entraîne pas de changement radical du système économique.191

Mais si les solutions de la petite et de la grande bourgeoisie étaient ultimement les mêmes, il n’en demeure pas moins que ces deux fractions de classe étaient en concurrence l’une avec l’autre au plan politique. Dans le contexte des années 30, en Angleterre comme au Canada,192 la petite-bourgeoisie souhaitait faire prévaloir sa solution dans le but de prendre elle- même la direction des affaires politiques. Elle souhaitait notamment se substituer à la bourgeoisie, à la tête de l’état. Et c’est pourquoi, même si la bourgeoisie entreprit de faire substantiellement ce que préconisaient les créditistes, elle le fit sous une toute autre couverture idéologique, en utilisant un vocabulaire tout à fait différent entre autres choses. Derrière ce qui pourrait sembler n’être qu’une querelle de mots a posteriori un dividende national versus des paiements de transfert social se cachait en réalité une vive concurrence sinon une lutte caractérisée pour le pouvoir politique.

Nous avons déjà eu l’occasion de signaler que les idéologies ne sont pas de purs systèmes de valeurs auxquels les hommes, instinctivement, adhéreraient plus ou moins spontanément. Nous avons souligné que les idéologies ont le plus souvent une origine de classe bien caractérisée et qu’elles sont de toute façon véhiculées par certaines classes sociales, compte tenu de la place qu’elles souhaiteraient occuper dans la société. Ce rapprochement que l’avènement de l’idéologie de la sécurité du revenu a amenés à faire entre les idéologies de la sécurité sociale et du crédit social nous en fournit une excellente illustration. En outre, les nombreuses analogies que nous avons pu relever entre l’idéologie de la sécurité sociale et celle du très conservateur crédit social, nous permettent de constater que l’idéologie de la sécurité du revenu est loin d’être aussi révolutionnaire qu’on pourrait le croire à prime abord, à la condition évidemment que l’idéologie de la sécurité du revenu soit directement issue de celle de la sécurité sociale, ainsi que nous l’avons affirmé. Il importe donc que nous nous arrêtions maintenant sur ce point.

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