Au Compte-goutte - Mieux Comprendre Les Politiques Sociales, D'Hier à Aujourd'hui, 28ème Partie
L’idéologie de la sécurité du
revenu
Avec
l’expression sécurité du revenu ou encore celle de revenu minimum
garanti qui lui est étroitement associée dans le langage courant, Nous nous
situons à toutes fins pratiques dans l’actualité. En effet, ce n’est que vers
la fin des années 60 et même au début seulement des années 70 que l’idée de
garantir plus ou moins automatiquement un revenu minimum à tout
citoyen sans exception a cessé de paraître farfelue aux yeux de l’ensemble
des citoyens pour prendre rang parmi les objectifs souhaitables sinon
nécessairement réalisables.
Rétrospectivement,
nous pouvons affirmer sans trop risquer de nous tromper qu’un certain nombre de
rapports, livres blancs et autres documents officiels ou semi-officiels
similaires, furent largement responsables, de cette conversion idéologique
dont nous avons été nous- mêmes témoins. 184 C’est donc dire que l’appareil d’État lui-même fut à
l’origine de ce nouveau courant idéologique. Par la suite, c’est-à-dire plus
spécifiquement à partir de la convocation d’une conférence fédérale-provinciale
des ministres responsables de la sécurité sociale en 1972, les gouvernements
tant fédéral que provinciaux ont entrepris au vu et au su de tout le monde, de
mettre en application cette nouvelle idéologie dont ils avaient
eux-mêmes suscité l’apparition. Ce faisant, ils cherchaient certes à réaliser
la stratégie qui les avait inspirés et dont la nouvelle idéologie n’était
qu’un des multiples emballages. Mais ils conféraient aussi du même coup une
vraisemblance et un impact encore plus grands à cette même idéologie :
l’idéal de la sécurité du revenu n’est-il pas parfaitement réaliste,
puisque les gouvernements eux-mêmes s’emploient à le réaliser? 185
Ce
phénomène politique étant encore relativement récent et les réalisations
concrètes correspondantes étant encore peu nombreuses, il est difficile pour le
citoyen ordinaire de se faire une idée très précise de ce que doit être ce
système de sécurité du revenu qu’on nous annonce. Pour savoir, il faudrait en
effet que nous lisions tous ces documents qu’ont pu produire les divers
services gouvernementaux concernés depuis l’amorce de ce qu’on a appelé la
révision de notre système de sécurité sociale et que nous réussissions à y
décerner, derrière le langage souvent très technique et derrière aussi les
inévitables imprécisions ou hésitations, ce que sera effectivement, selon toute
possibilité, ce système de sécurité du revenu qu’on nous promet. Mais seuls des
spécialistes se donnent cette peine et encore, ils ne réussissent pas
toujours à percevoir avec exactitude ce qui s’annonce…
C’est
donc dire qu’en l’absence de réalisations concrètes clairement identifiables
comme telles, la sécurité du revenu n’a encore d’existence qu’idéologique
pratiquement. Pour nous en faire une idée, nous sommes obligés de nous en
remettre presque exclusivement à ce qu’on veut bien nous en dire. Nous ne pouvons
notamment confronter ces proclamations avec une quelconque expérience des
programmes concrets puisque ceux-ci n’existent pas encore, ou tout au moins,
ils ne sont pas encore identifiés explicitement comme éléments constitutifs du
nouveau système dit de sécurité du revenu. 186 Nous
nous contentons aussi d’idées très générales et en bonne partie abstraites sur
la question. La sécurité du revenu ou le revenu minimum
garanti ne seraient en définitive, pour nous, rien d’autre que ce que nous
suggèrent les mots mêmes qui sont utilisés pour les décrire à savoir, comme
nous l’avons déjà signalé, la garantie automatique d’un revenu minimal pour
tout citoyen sans exception.
Ce
qui nous paraît révolutionnaire dans ceci par rapport aux idéologies
antérieures, ce ne sont ni la dimension assurance (ou sécurité, ou
garantie), ni l’idée d’automatisme qui lui est associée, ni même le présumé universalisme
des mécanismes envisagés (pour tout citoyen sans exception) ; ces
dimensions étaient déjà présentes dans l’idéologie de la sécurité sociale
notamment. C’est le fait que ce soit le revenu qui doit être garanti,
qui nous paraît être la grande innovation de la sécurité du revenu. Ne
sait-on pas en effet que c’est l’insuffisance des revenus qui est la cause
première de la plupart des problèmes de bien-être dont nous pouvons avoir
connaissance? Ne sait-on pas que cette insuffisance des revenus provient
notamment de l’insuffisance de la rénumération des travailleurs? Ne sait-on pas
que cette insuffisance est- elle même à l’origine de la plupart des tensions
qui se manifestent dans notre société, puisque les travailleurs doivent se
battre pour obtenir une rémunération à peu près satisfaisante?... Alors, si on
réussissait effectivement à garantir à chacun un revenu minimum satisfaisant,
ce sont non seulement ces problèmes de bien-être qui disparaîtraient, mais
aussi du même coup ces tentions sociales. Et qui plus est, tout ceci serait
obtenu de la façon la plus normale qui soit, c’est-à-dire par le biais
de la rémunération, c’est-à-dire encore par le biais du travail,
et non pas par le biais d’une prestation sociale à laquelle s’attache
inévitablement une certaine idée de déchéance sociale ou tout au moins d’anormalité.
Dans ces conditions, comment pourrions nous trouver que l’avènement de la sécurité
du revenu ne représente pas un grand pas en avant, à tout point de vues,
c’est-à- dire tant au point de vue humanitaire que proprement social?
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