Au Compte-goutte - Mieux Comprendre Les Politiques Sociales, D'Hier à Aujourd'hui, 19ème Partie


De ce fait, grâce à la sécurité sociale, Les États modernes peuvent maintenir des liens très concrets avec leurs ressortissants par-delà les frontières. Ainsi, un citoyen ne cesse pas de jouir des différents régimes de sécurité sociale du seul fait qu’il s’absente du pays. Par contre, un citoyen ne pourra s’absenter du pays impunément, pour des périodes de temps prolongées et en n’importe quelle période de sa vie. Il ne perdra pas nécessairement sa citoyenneté, ce qui signifierait une rupture totale et définitive, mais il pourra perdre progressivement certains des bénéfices sociaux qui s’attachent à sa citoyenneté. De la sorte, celui qui vit à l’étranger aura intérêt à revenir séjourner périodiquement au pays, de façon à satisfaire les conditions de résidence qui s’attachent aux bénéfices de sécurité sociale qu’il ne veut pas perdre. De la même façon, celui qui songe à s’expatrier y pensera par deux fois, par suite de bénéfices sociaux qu’il risque de perdre et dont il ne peut espérer bénéficier dans sa société d’accueil, tout au moins tant qu’il n’aura pas réussi à y acquérir la citoyenneté.
Par exemple, un enfant qui quitte le pays pour une période prolongé e cesse d’être admissible au bénéfice des allocations familiales; n’est-ce pas une façon pour l’État d’inciter les parents à éduquer ou à faire éduquer leurs enfants au pays même, de façon à ce que ceux-ci s’intègrent sans trop de difficultés à la collectivité nationale. Par contre, les citoyens canadiens qui ont atteint l’âge de la retraite peuvent vivre de façon régulière à l’étranger (en Floride :) sans perdre leur droit aux différentes prestations de sécurité de la vieillesse. Mais pour avoir droit à ces prestations, il faudra qu’ils aient satisfait à des conditions rigoureuses de résidence pendant la période où ils étaient présumément productifs.  En d’autres termes, les États modernes s’assurent que les futurs producteurs soient bien intégrés à la collectivité nationale et que ceux qui sont en âge de produire apportent effectivement leur contribution productive à l’économie nationale. Les aspects reproduction et gestion de la main-d’œuvre sont donc intimement liés à l’aspect maintien de la cohésion nationale. Par le biais de la sécurité sociale, les États modernes s’attachent leurs citoyens, un peu à la façon des grandes entreprises qui achètent la fidélité de leurs employés réguliers (pour lesquels elles ont inévitablement encouru des coûts de formation ou d’entraînement) en leur accordant des bénéfices marginaux directement liés à leur plus ou moins grande ancienneté. 156

Si par ailleurs il existe pour une raison ou pour un autre des mouvements significatifs et constants de population entre deux pays, les États concernés seront naturellement amenés à conclure des accords de réciprocité concernant notamment la sécurité sociale. Le pays qui par exemple est surtout fournisseur de main-d’œuvre, ne voudra pas être seul à supporter les coûts de la reproduction de cette main-d’œuvre, le pays d’accueil se contentant d’accueillir les hommes et les femmes lorsqu’ils sont productifs, moyennant un salaire la plupart du temps minable, et de les retourner dans leur pays d’origine lorsqu’ils deviennent inaptes au travail, soit à cause de la maladie, de l’âge ou d’un quelconque événement fortuit. 157 En d’autres termes, les États négocieront entre eux les conditions d’exploitation de leur capital humain respectif. Sans doute un de leurs soucis primordiaux est-il d’éviter que leur main-d’œuvre potentielle ne soit sur-exploitée, au point que les coûts de sa reproduction n’en seraient même pas couverts. Mais on constate aussi que grâce à de tels accords de réciprocité, les États réaffirment leur souveraineté sur leurs ressortissants et maintiennent le rapport de dépendance de ceux-ci à leur égard.

Mais les États peuvent aussi chercher à faciliter et susciter de tels mouvements de population, grâce à de tels accords de réciprocité, et non pas seulement les contrôler et les régulariser. Par exemple, si on souhaite créer une véritable communauté européenne, il ne suffira pas d’abaisser les barrières tarifaires. Il faudra aussi faciliter le mouvement des personnes en abaissant les barrières à la mobilité que sont les différents systèmes nationaux de sécurité sociale.
  
Ces quelques exemples suffisent pour illustrer toute l’importance que peut revêtir la sécurité sociale pour les États modernes. Ces États ont en effet été construits de toutes pièces sur le concept abstrait, essentiellement juridique, de la citoyenneté. Ce concept de citoyenneté, présente évidemment de grands avantages, notamment en ce qu’il permet d’ignorer, formellement au moins, ce qui différencie les hommes des uns des autres et d’éliminer par conséquent, formellement au moins encore une fois, le risque de discrimination qui conduit presque inévitablement à une hiérarchisation figée des hommes au sein de la société. Mais en même temps, du fait qu’il est abstrait, ce concept n’a pas le pouvoir affectif des critères qui fondaient l’apparence sociale dans les sociétés traditionnelles. Puisque la solidarité des sociétés modernes est aussi intellectuelle, aussi déshumanisée, les États modernes doivent évidemment compenser cette déficience d’affectivité au moins par un intéressement matériel.

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