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Affichage des messages du décembre, 2011

LA DÉTRESSE DES HOMMES - 20e partie

Soumise aux contraintes historiques de la guerre, de l'exil, et de la réinstallation, la société vietnamienne (qui bien que traditionnelle n'en demeure pas moins une société complexe) s'est modifiée et réorganisée pour s'adapter aux exigences de la transplantation.  Désormais, l'espace social vietnamien au Canada ne se réduit plus aux seules valeurs traditionnelles, l'acculturation ayant fait son office on assiste à une "occidentalisation" des discours et des pratiques.  La persistance des traditions s'estompent semble-t-il chez les plus jeunes, au grand désespoir des plus âgés.  Toutefois en dépit de ces changements, les réseaux familiaux et collectifs qui fondent la structure traditionnelle vietnamienne se maintiennent dans l'exil, et coexistent avec une organisation sociale géographiquement plus ouverte et éclatée.  Cette prégnance d'un "noyau" traditionnel se manifeste plus volontiers dans les situations concrètes, dans les ex...

LA DÉTRESSE DES HOMMES - 20e partie

Dès lors, on pourrait admettre cette première formulation selon laquelle: ce n'est pas parce qu'un parent est mort qu'il revient, mais c'est parce qu'il revient que l'on sait être dans la situation d'un défaut de sépulture honorable, ou d'un manquement aux rites propitiatoires.  C'est l'expérience de la "rencontre" qui définit a posteriori la situation du sujet aux regards des défunts.  Parmi le catalogue vietnamien des causes et des origines de la maladie, du malheur, ou des simples expériences "surnaturelles", le retour des décédés de malemort est une explication toujours forcement répandue dans le contexte de la transplantation.  Toutefois, les exemples précédents montrent que si la conception vietnamienne affirme que les décédés de malemort, ou que les ancêtres non honorés, sont susceptibles de venir "hanter" les vivants, force est de reconnaître que tous les décédés de malemort ne reviennent pas.  D'une cert...

LA DÉTRESSE DES HOMMES - 19e partie

À chaque fois qu’il était fait mention d’une rencontre avec un esprit, on pouvait pressentir que le patient se trouvait dans un rapport particulier avec le défunt et avec son entourage, au moment du décès et même actuellement. En effet, il apparaît que toutes les situations traumatiques, ainsi que tous les décédés de malemort ne donnent pas lieu à un retour de fantômes; certains immigrants ne parleront jamais de fantômes, tandis que d’autres évoqueront alternativement des mauvais rêves et des fantômes pour caractériser des phénomènes radicalement différents. On ne saurait donc supposer que tous les immigrants traduisent leurs “cauchemars” par des énoncés standards, culturellement déterminés, au moyen de représentations traditionnelles de la maladie. À ce titre, l’alternance des énoncés chez un même patient nous incite à croire que le “mauvais rêve”, bien que moins “exotique”, serait aussi une représentation traditionnelle traduisant pour le sujet une expérience d’une toute autre nat...

LA DÉTRESSE DES HOMMES - 18e partie

DÉTRESSE DES HOMMES - RÊVES POST-TRAUMATIQUES Monsieur X, plus âgé, vivant en France depuis plus de dix ans, consultait régulièrement pour une tristesse profonde, associée à une grande fatigue. Il était depuis un an en arrêt de travail, et n’envisageait plus de reprendre une quelconque acitvité professionnelle, tant il se sentait faible. Au Vietnam, il habitait Hanoi et enseignait le français dans un lycée : marié et père de six enfants dont trois filles et trois garçons, il vécût heureux jusqu’à l’arrivée des Viet Cong. Dès les premiers mois du nouveau régime, la famille fût séparée et déportée, et Monsieur X, ne devait plus jamais revoir ses fils et sa femme. Il ne doit d’avoir survécu qu’à sa force personnelle, et grâce à l’aide de certains villageois qui, à plusieurs reprises le protègerent contre la barbarie des Viet Cong. Depuis son arrivée au Canada, il reste hanté par ses souvenirs, et rêve régulièrement de ses enfants, et il revit intensément les moments d’une déchirante ...

LA DÉTRESSE DES HOMMES - 17e partie

DISCUSSION CLINIQUE SUITE Une jeune femme africaine et bouddhiste, rapportait qu'à la pire époque du régime congolais, elle avait vu sa belle-soeur se faire assassiner par des soldats africains, alors qu'elle était cachée non loin de là.  Elle avait pu quittter le Congo juste après cet événement.  Dès son arrivée au Canada, elle fût adressée à la consultation psychiatrique pour des céphalées, des troubles de la concentration, et une hyperémotivité avec de brusques variations de l'humeur.  À aucun moment elle ne fit mention de mauvais rêves; son sommeil était bon, disait-elle, sauf que régulièrement sa belle-soeur défunte venait, dans sa chambre, lui dire et lui faire des choses terribles.  Il ne s'agissait ni d'un rêve, ni d'un cauchemar, mais bien d'une expérience vécue, puisqu'elle ne survenait pas pendant son sommeil, affirmait-elle.  Devant la force de cette sensation, les catégories du sommeil et du rêve semblaient n'avoir aucune pertinence pour...

LA DÉTRESSE DES HOMMES - 16e partie

DISCUSSION Tous les immigrants n'ont pas eu recours aux mêmes interprétations,  certains ont parlé de mauvais rêves, puis de fantômes, pour traduire des expériences différentes et pourtant apparemment identiques pour le clinicien.  L'expression même de ces interprétations semblait étroitement liée au contexte et pas seulement aux déterminants psychopathologiques du "malade", et dans tous les cas, il existait un concensus sur l'interprétation développée par les patients et les autres immigrants interrogés.  Plusieurs caractéristiques de la "rencontre avec un fantôme" sont régulièrement apparues dans le discours des patients et dans celui de leurs proches.  Il est apparu une nette distinction entre ce qui relevait du "retour des fantômes" et l'ensemble des signes cliniques que nous pouvions relever.  En d'autres termes, la peur de devenir "fou", traduisant un changement de comportement ,n'était jamais imputée à une possessio...

LA DÉTRESSE DES HOMMES - 16e partie

LES AUTRES SIGNES On peut retrouver derrières ces formulations des traits caractéristiques des sociétés asiatiques comme par exemple, le souci de ne pas faire "perdre la face" à son interlocuteur, et l'attente que celui-ci se comporte pareillement pour ne pas perdre la face soi-même, qui s'associe au respect des aînés et des étrangers. Ces rapports entre aînés et cadets, ce souci de garder la face régissent l'établissement d'une relation sociale et sont hautement valorisés, tandis que l'inverse est péjorativement connoté et même réprimé. Celui qui manque à ces règles sociales est un déviant ou, si son comportement n'est pas intentionnel, c'est qu'il est "fou". Derrière cette peur de perdre la face et l'angoisse de devenir fou il semble aisé au clinicien de retrouver les brusques accès de colère, les troubles de la concentration, le sentiment de devenir étranger aux autres et les réactions de sursauts exagérés qui caractérise le PT...

LA DÉTRESSE DES HOMMES - 15e partie

Les autres signes Les immigrants consultants essentiellement pour des troubles du comportement qu'ils jugeaient pathologiques comme les brusques accès de colère, les troubles de la concentration, l'hyperhémotivité, les sursauts exagérés.... Mais il est frappant de constater que de nombreux immigrants ont exprimé ces troubles du comportement sous la forme d'une peur angoissante de devenir fou. Ils remarquaient qu'ils n'étaient plus en mesure de se contrôler, qu'ils se mettaient fréquemment et violemment en colère pour des broutilles, qu'ils ne supportaient plus leurs enfants, ni les règles coutumières, et que leur souhait était de s'exclure de la collectivité (notamment asiatique). Un fort sentiment de honte était associé à ces manifestations, et seule leur "folie" pouvait expliquer qu'ils perdent ainsi la face, qu'ils ne parviennent plus à se concentrer, ou à avoir des relations sociales. Et même le simple fait de relater ces changement...

LA DÉTRESSE DES HOMMES - 14e partie

Les cauchemars Dans le DSM III, l'accent est mis sur l'aspect pénible de la réminiscence du souvenir traumatique qui s'accompagne d'un "sentiment de détresse" (DSM III). Or, rarement une telle détresse était présente chez les nouveaux immigrants. En effet, lorsque les cauchemars étaient présents, ils étaient rarement évoqués spontanément. Ce n'était que lorsque les patients étaient interrogés sur la qualité de leur sommeil que certains reconnaissaient en avoir fréquemment. Peu de nouveaux immigrants semblaient préoccupés par ces rêves, même lorsqu'ils leur reconnaissaient les caractéristiques d'un cauchemar, ou plus exactement d'un mauvais rêve. En fait le plus souvent, les nouveaux immigrants ont exprimé, avec une certaine réticence, l'idée que des fantômes venaient les déranger la nuit. Ces fantômes représentaient généralement les esprits de parents, ou de proches, décédés sous leurs yeux ou encore qui n'avaient pu bénéficier des ritu...

LA DÉTRESSE DES HOMMES - 13e partie

LE SENTIMENT DE DÉTRESSE Le DSM III met en valeur cinq critères diagnostiques spécifiques de ce trouble. D'emblée il est important de noter que c'est le permier manuel qui définit le traumatisme parmi les critères diagnostiques, en se référant à des caractéristiques générales de l'événement, décrit comme "hors du commun", et surtout susceptible d'engendrer "des symptômes évidents de détresse chez la plupart des individus et (qui) dépasse généralement le domaine des expériences communes, telles que le deuil, la maladie chronique, les mauvaises affaires ou les conflits conjugaux. Ainsi les catastrophes naturelles, ou causées par l'homme, les guerres et la torture peuvent conduire à ces troubles. Les quatre autres critères sont : 1) "l'événement traumatique est constamment revécu" : ce critère recouvre les cauchemars et les reviviscences diurnes. 2) "Évitement persitant des stimuli associés au traumatisme ou émoussement de la réactivit...